©Sasha Onyshchenko

 Critique de OLD dans Le Devoir par Catherine Lalonde

Nous étions tous OLD, tous vieux, jeudi soir à la première de la nouvelle création chorégraphique de la grande Margie Gillis. Nous étions toutes vieilles, tous vieux, une majorité de têtes blanches ; et tout émus, avant même d’entrer en salle pour ce qui est annoncé comme la dernière soirée entière de danse de cette étoile du style contemporain. Émus d’avoir eu la joie et la chance, pendant ses 50 années de carrière, de voir et de recevoir sa danse. Émus de la voir, dans cette soirée Gillis pur jus, encore danser, à 69 ans, cette danse qui nous ramène plein coeur. De la voir danser pour nous, devant nous, avec nous ; de danser par elle.

On ne pourra pas être critique, on ne peut même pas faire semblant : Margie Gillis était l’image de la danse au Québec avant même que votre journaliste ne commence à s’intéresser à la danse. Pendant les cours de ballet jazz de loisirs le samedi matin à l’École de danse de Québec, pendant la formation professionnelle, pendant les spectacles et les performances, pendant la décennie de critiques de danse écrites pour Le Devoir, Margie Gillis était du paysage. Une muse, une inspiration, un modèle. Cette soliste, pionnière de la danse contemporaine et de la danse d’ici, femme forte, fière de son corps et de sa féminité, première à aller porter la danse contemporaine en Chine, qui s’y est intéressée avant tout le monde, on l’a vue danser, souvent.

On l’a vue aussi résister avec une incroyable grâce à une entrevue hostile de Sun News et à l’arrivée d’un modèle d’affaires des Ballets jazz de Montréal soudain très compétitif pour le monde de la danse, qui lui mettait des bâtons dans ses chorégraphies existantes. On l’a vue commencer à léguer, aux danseuses, aux jeunes des écoles, travailler avec elles, avec eux, la transmission, la plasticité du cerveau par la danse. Une mère en danse.

Les écritures affectives

Et la magie Gillis opère dans OLD encore, peut-être de manière encore plus mystérieuse, plus fascinante encore maintenant que la virtuosité physique de la créatrice s’est émoussée. On voit sa persona d’interprète continuer de croître, de s’épanouir. Elle s’enracine dans l’expérience, intime et partagée, de la danse. Dans la clarté des intentions, et surtout, dans une stupéfiante maestria des relations — avec le souffle, les émotions, le mouvement, l’espace, la salle.

Pour OLD, Mme Gillis tente une rare unité narrative, une soirée-histoire complète, dans cette scénographie de vieux meubles bancals, de rebuts de magasins d’antiquités, alors qu’elle a consacré l’essentiel de sa vie et de ses spectacles aux multiples solos. La pièce reste composée, on le sent, de fragments.

Comme souvent chez Gillis, la chorégraphie n’est pas imperméable à la critique, s’appuyant surtout sur une écriture affective — qui inclut le travail sur l’espace, l’énergie, le mouvement. Il y a des maladresses : la tentative multimédia, malgré le beau désir de laisser un legs de la philosophie de la danseuse ; des transitions abruptes, surtout techniquement, par exemple. Et comme toujours chez Gillis, sans comprendre pourquoi, on s’en fout, on passe outre tant il y a autre chose.

Même mystère devant cet usage des clichés, qui par elle n’en sont pas, qui n’en sont plus puisqu’elle y réinjecte tant de sens qu’elle nous ramène à l’origine de l’image, de la métaphore, souvent littérale. Il y a des clichés de geste, dans cette « mimographie » qui fait partie de sa signature hyperparlante, très poreuse.

Il y a des clichés esthétiques. Pensez à ceux de la vieillesse, elle les passe quasi tous, parfois en image littérale : la porte qui la séparera de nous, l’horloge arrêtée, la chaise berçante qui l’empêche de se mouvoir, la robe de mariée blanche pour valser vers la fin, les pétales qui tombent du ciel, même l’ombre chinoise de l’oiseau qui fuit vers le ciel comme une âme envolée, faite avec des mains battantes. Déjà vu ? Kitsch ? Pourquoi alors pleure-t-on à chaudes larmes, en espérant que ça ne finira pas ?

Peut-être à cause des moments miraculeux, comme lorsque Gillis chante a capella et à répétition « I’m my mother’s savage daughter », de Sarah Hester, sur différents tons, en s’avançant doucement vers nous, et que le coeur nous explose ?

Parce que c’est elle, parce que c’est nous

Margie Gillis est l’incarnation d’un code terrien, qui émeut d’autant plus qu’on est peut-être en train d’en perdre le chemin et le contenu. Sa vision du spirituel dans l’art n’en fait pas une prêtresse déconnectée qui attend qu’on reconnaisse le divin en elle ; elle est avec nous, elle nous y donne accès, nous ouvre le chemin. Sa danse, son corps, sa chair, son « invieillissable féminité », la joie qu’ils lui donnent et les mouvements qu’ils lui permettent nous ramènent, nous, à nos corps, nos chairs, nos sensualités, nos joies. C’est la danse de nos ancêtres, c’est Isadora.

On vous dirait bien d’y aller, parce que c’est elle, parce que c’est nous, et d’y traîner vos filles et vos fils : mais c’est complet, dit l’Agora de la danse, plein comme un oeuf.

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